texte paru dans le TSUGI n°9
par Violaine Schütz
Una notte bianca, nel 1977 avec Jean-Charles de Castelbajac
Créateur pop post-moderne, déjanté et plein d’humour, connu pour ses détournements de toiles de jutes en robes citationnelles, Jean-Charles de Castelbajac, est aussi un fan de musiques électroniques acéré, ami du leader de Kraftwerk à ses débuts qui projette aujourd’hui de faire jouer Crystal Castles à son prochain défilé. Moment rare : le plus anarchiste des aristocrates nous entraine avec lui dans une nuit-voyage digne d’un épisode d’Indiana Jones dans le temple maudit d’une l’Italie hantée.
C’était en 1977 ou 78, en Italie, pendant les années de plomb, ce moment de l’histoire où il y a eu énormément d’attentats terroristes et où régnait un étonnant paradoxe entre la dolce vita italienne et quelque chose de dramatique lié à la présence du fascisme. J’ai une vingtaine d’années, c’est un samedi soir d’été, en fin de soirée. Un ami cher, Achille, me propose de le suivre dans sa vieille décapotable Corniche vers une propriété perchée sur les collines de Reggio d'Émilie, qui ressemble qui a tout de la demeure de Nosferatu.
22h30 : Achille frappe à la porte, et on se retrouve dans un immense couloir d’une hauteur de 11 m sous plafond, avec un sublime tapis d’orient au sol, et une voute faite de chaque côté de 25 têtes de girafes empaillées, et d’orangs outans naturalisés : que des animaux que j’aime sacrifiés pour le seul plaisir de tuer. Les girafes, très féminines, me regardent chacune dans les yeux, avec la même tristesse dans le regard que la mère de Bambi au crépuscule de sa vie. Au fond du couloir, trône une énorme tête de lion sous laquelle se trouve une double porte cloutée à battant. Un maitre d’hôtel ouvre la porte. Et là, on découvre une autre pièce-temple contenant des tableaux très sombres d’ancêtres, presque que des hommes dans une atmosphère étrange avec un éclairage aux chandeliers et une table mise de 12 m de long au milieu. On s’installe avec Achille dans des fauteuils renaissance italienne.
23h : Il est assez tard pour diner lorsqu’arrive une femme au très long cou, comme on peut seulement en voir sur les princesses romaines photographiées par Richard Avedon, et qui
ressemble aux girafes de l’entrée. Par une autre porte, sort un homme rougeaud, avec moins d’allure, qui s’installe à l’autre bout de la table. Le couple très mal assorti ne s’adresse la parole que par petit mot écrit et transmis à un maitre de maison qui le pose sur un petit plateau d’argent.
00h30 Dans une situation à faire pâlir de désir Salvador Dali, et dont la drôle d’ambiance aurait fortement excité Marcel Duchamp, le premier plat arrive. La maitresse des lieux, dont j’apprendrais plus tard l’identité- il s’agissait d’une véritable princesse romaine devenue comtesse par son mariage avec un riche notable toscan-, est entourée d’une dizaine de chihuahuas comme il en existe que quelque uns dans le monde. Le diner se passe et la conversation trépasse. Dans cette cathédrale du silence, le velours est proche des prémisses d’eyes wide shut, mais il ne se passe rien. Je demande en partant à Achille, si ces gens ne sont pas un peu bizarres. Il me répond que le couple a simplement choisi de régler un contentieux entre tous les deux par un silence à vie.
01h30 Achille me parle d’une fête chez un ami, dans les collines de l’Emilie. On monte dans sa Rolls corniche, dont la teinte change selon les jours (il prend la noire le lundi, jour de deuil) et on arrive devant une villa bunker avec un ciment à la Rambo, qui reflète la lune. A l’intérieur la fête est assez figée avec que des jeunes gens de familles à l’allure romantique et romanesque, tous semblables aux mannequins de Kraftwerk. Une quinzaine d’entre eux regardent vers un petit jardin. Et là je demande à Achille : « toi qui est un grand amateur de beauté féminine, peux tu me dire où sont les femmes ? »
Il me répond : « Elles ne sortent pas après minuit ». Je suis un peu déçu.
3h30 A travers les baies vitrées, vers lesquelles les jeunes garçons lorgnent, j’aperçois une fille qui ressemble au printemps de boticelli, poursuivie par un ours. Je ne comprends pas pourquoi les clones de Gary Numan assistent à cette tragédie en rigolant. En colère, j’en bouscule un, je saute dans le jardin, je cours après l’ours, le terrasse, sa tête roule et boule et je découvre qu’une femme se cachait sous la peau de l’ours. A ce moment là, des projecteurs se braquent sur les différentes terrasses hypra modernes de la villa, et des sonorités électroniques qui remontent à l’archéologie du genre, dans la veine d’OMD, Human League et Throbbing Gristle envahissent l’espace. Il s’agit en fait des premières notes de « warm leatherette » de the normal, convié pour orchestrer live cette messe apocalyptique.
4h30 je dois travailler le lendemain matin, dessiner une collection pour la marque Sportmax pour laquelle je travaille alors, mais Achille me prend à part et me dit, pars pas, je veux te montrer quelque chose. Il m’emmène dans une pièce où se trouve un tableau en dyptique, montrant d’un côté, le dos d’une femme grandeur nature constellé de grains de beauté, et de l’autre une nuit étoilée où les taches de la fille sont transfigurées en ciel. Il s’agit du tableau « physionomie céleste » de Claudio Parmiggiani (célèbre peintre italien des années 60, ndr).
6h00 Achille me dit qu’il veut m’offrir ce tableau.
6h30 Après un tour en Rolls, on se retrouve à la terrasse d’un café, nous sommes seuls, Achille me récite du Lautréamont, en français dans le texte, la séquence du requin des chants de Lautréamont. Je commande un double expresso et un verre de Sambuca. Je bois la liqueur dans le café, après avoir fait flamber 3 grains de café. Le jour se lève sur l’Italie plombée par les années de plomb.
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