mardi 9 décembre 2008

Late Of The Pier

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Article de couv paru dans le TSUGI n°11

Texte : Violaine Schütz
Late Of The Pier
les derniers arrivés
Fin de race, début de lignée

Il y a eu le revival du rock binaire classe 77, l'éphémère nu-rave remettant les 90's au goût du jour et puis plus rien. Enfin, c'est ce qu'on croyait jusqu'à ce qu'un quatuor à peine majeur, Late Of The Pier, viennent confirmer, avec un premier LP vivifiant et barré ce que Metronomy et Mystery Jets avaient prédit. Il y aura bien un futur du rock anglais, et celui-ci passera par des synthés, une excentricité très 80's et une bonne dose de second degré. Vivement demain!
« Ce n'est pas seulement le nouveau groupe le plus excitant du moment, c'est LE groupe le plus excitant de tous les temps. J'aime leur musique et en tant que personnes ce sont les quatre types les plus créatifs, spirituels, inspirés, concentrés et aimables que j'ai jamais rencontré. Je pense que Fantasy Black Channel est un très beau disque, qui ose beaucoup de choses, mais ça je le savais avant même qu'on commence à l'enregistrer.”

C'est en ces termes, plus qu'élogieux que l'homme du moment, l'Anglais Erol Alkan, parle de son groupe préféré dont il a produit l'album, et on est pas loin de partager son enthousisame un brin ampoulé. Le 26 juillet, on constatait pour de vrai à quel point l'emphase de l'ancien patron du Trash n'était pas volée. Au Razzmatazz, immense club de Barcelone, perdu au milieu de nulle part et abritant des clubbeurs de tout bords se divisant sur 5 salles, Late Of The Pier jouait à 3 heures. Après un set techno italo de Sistema (un producteur espagnol proche d'Alexander Robotnick), ils parvenaient alors à mettre d'accord ceux qui étaient venus danser sur de l'électro et les indie rockeurs déjà au courant de la nouvelle “LOTP”. Dans une salle non climatisée (la seule de tout le club) et fumeuse (la seule aussi de tout le club), l'alchimie prend dès les premiers retentissements synthétiques. Il y a plus de claviers sur scène que d'êtres humains, humains dératés que l'on voit s'agiter dans tous les sens dans des tenues dorées improbables, un mix de lamé or période disco et de nippes vintage.
Musicalement, le son est assourdissant, la vitesse d'exécutions d'un urgence absolue : les bombes électro rock barrées, s'enchainent et explosent les têtes. Les martèlements du chanteur frappant frénétiquement un instrument diy fait de lattes de lit, sur « Space And The Woods », premier single auto-produit du groupe sorti en Mars 2007, enfonce le clou dans un cerveau déconnecté et des jambes bien laminées. On est envouté, heureux, chancelant quand le chanteur finit dans la foule, porté par un public chauffé à blanc. Quelques minutes plus tard, en reprenant nos restes d'esprit, on pense à la fois à Ian Curtis pour la danse épileptique de danse du chanteur, à l'énergie brute du début du punk, aux farces de Devo, aux concerts débraillés de Klaxons, autres pourfendeurs de barrières musicales dont ils sont le sens du dancefloor féderateur, l'élégance d'un Franz Ferdinand en prime.
C'est à peu près la même sauvagerie brute, le même choc frontal, complètement rafraichissant et étourdissant, qui émane de la première écoute de l'album inaugural du quatuor. Fantasy Black Channel est une petite révolution dans le manoir anglais de la pop anglaise. On y brasse à peu près tout, du glam rock au prog, en passant par la pop expérimentale, l'électro weirdo, la new-wave, le hard rock et le funk. On casse les ryhtmes, déglinguent les mélodies, ça part dans toutes les directions, va et vient, ose le pire mais plus souvent le meilleur. LOTP y démontre violemment à ceux qui ne voyaient qu'en eux les hypeux auteurs d'un track compilé par Kitsuné (« Broken ») bon qu'à remplir un Showcase ou un Paris Paris qu'ils se trompent différemment. Ca aurait tellement facile : quatre jeunes garçons plutôts mignons, anglais, auteurs d'une musique crossover et fluo, adulés par les branchés. Sauf, que voilà, Late Of The Pier, soit « la fin de la jetée », c'est à peut près tout sauf ça.
Les pendules à l'heure
Si l'on se fiait à l'imagination des empêcheurs de danser en rond, les Late Of The Pier seraient idéalement issus de Londres, beaux comme des Dieux dans leur slims ultra mode, incultes comme pas permis, de la morgue à revendre. Surprise. On découvre Sam (chant guitare) le regard habité à la Ian Curtis, en pantalon rougeâtre trop grand et un tee shirt qui a eu plusieurs vies, Ross (batterie, percussion, fanatique), rouquin mutique, Faley (basse), dans un look intégral de métalleux tendance légèrement hippie qui aurait pu jouer dans le nanar Radio Rebels et Potter (synthétiseur, sampleur), légèrement bedonnant et le cheveux gras, tous très préoccupés peu avant leur concert espagnol. Il leur manque des câbles et le son de leur balance n'est pas au point. Perfectionnistes, soucieux, ils tiennent à faire les choses dans les règles. L'interview prévue à 19h aura finalement lieu à 1h, dans le hall de leur hôtel. Et au lieu d'y arriver bourrés, ou dans un état déliquescent, ce sont quatre jeunes hommes acérés, patients, et tout ce qu'il y a de plus intelligents qui se présentent à nous. Première chose qui frappe, le contraste (frôlant la contradiction) saisissant entre leur jeune âge (ils entament à peine la vingtaine, mais en paraissent 15), leurs bouilles d'idiots du village et l'originalité très mature de leurs réponses.
Ils auraient pu, pour commencer, nous dire qu'ils s'étaient formés, en 2005, pour épater les filles et boire à l'œil. Mais Sam dément fermement : « J'ai rencontré Faley, quand j'avais vraiment vraiment besoin d'herbe et Ross en classe de science, on s'est retrouvé autour de notre humour absurde. C'est drôle de penser que nous nous sommes rencontrés en classe de science, car notre association en groupe a été une réaction chimique à la médiocrité de beaucoup de groupes anglais indie qui trouvent une formule et s'y tiennent fermement, reproduisant le même schéma pour toutes leurs chansons. Nous abordons la musique comme des scientifiques. Nous disséquons ses différents ingrédients pour découvrir de nouvelles choses en musique, et expérimenter de nouvelles formules. »
Autres originalité chez ces scientifiques pop d'un nouveau genre, ils n'ont pas grandi dans la capitale, Londres, la ville de la nu-rave et des Libertines. Ca aurait nourri la hype et le mythe. Mais mieux, ils viennent « d'un petit village appellé Castle Donington et on a découvert la musique live en s'échappant au Liars Club, à Nottingham alors qu'on était mineurs, raconte Potter. L'offre musicale live a toujours été très limitée là bas. On y a vu quand même Franz Ferdinand, Cut Copy ou Art Brut ainsi que des DJs comme Hell. Mais sinon, on était plutôt vierges de tout. Aujourd'hui, on vit tous les quatre dans une maison, en rase campagne, dans les Midlands, près de la forêt de Nottingham. On ne peut pas vivre dans une ville. Nous détestons Londres, si on y avait vécu on aurait totalement pété les plombs ou alors on serait restés enfermés entre quatre murs. On a besoin de vivre à la campagne et de pouvoir laisser vagabonder notre esprit. Le bruit que l'on traduit dans notre musique vient de cette nature. Et le vide qui y règne nous permet de penser et de faire fonctionner l'imagination. On ne regarde pas non plus la TV, on reste chez nous à discuter jusqu'à pas d'heure. On écrit aussi beaucoup de poésie ou d'histoires dans lesquelles on teste notre sens d'humour, et après on se les fait lire. En fait, nous sommes un peu comme des personnages de Spike Milligan. » Spike Milligan, c'est ce comique et comédien anglais génial (décédé en 2002) qui inspira les Monty Python et Perter Sellers. Il écrivait des choses comme « Remède contre le mal de mer : asseyez-vous sous un arbre.» Une phrase qu'un Late Of The pier aurait pu écrire. Leur chanteur trouvant par exemple la pochette de leur cd promo (un logo sur fond bleu) « belle comme une pâtisserie » et comparant leur musique « au bruit émanant d'une poupée de porcelaine mangée par des alligators. »
Chaos pop et chaîne porno
Qu'on se le dise, les LOTP sont des originaux, à l'image de leurs idoles qui en sont ni des Bowie, ni des Morrissey. « On n'est pas trop intéressés par les personnes célèbres. Ce qui nous inspirent, ce sont des gars de notre village, des excentriques. Beaucoup d'alcooliques de notre village sont nos héros, raconte Potter. Jay Austin est l'un d'eux, un type toujours ivre qui a des histoires en pagaille ou un vieil Irlandais appelé Nelly, qui est comme un grand enfant réclamant un gros jouet. A chaque fois qu'on lui réclame un peu d'argent ou qu'un truc lui plaît pas, il hurle et pleurniche; Il est très charmant, c'est un personnage. On adore d'ailleurs les chansons qui parlent de personnages comme « Sexy Sadie » ou « Lovely Rita » des Beatles, un de nos groupes préférés. »
Mais attention, Late Of The Pier n'a ni l'élasticité pop des Beatles, ni l'évidence sonique, il préfère le chaos et concède facilement sa difficulté d'accès. « Late Of The Pier ne signifie rien. Tout comme Fantasy Black Channel, ce sont des non-sens, avoue Ross. Pour le titre de l'album, c'est à la fois l'écran noir sur lequel tu peux laisser ton imagination vagabonder et une chaine de TV porno qu'avec des blacks. On laisse l'auditeur choisir, selon la tournure de son esprit plus ou moins malade. C'est vital pour nous de laisser les champs ouverts. Ca correspond au fait qu'on ne pense que la musique doit se laisser appréhender en termes de frontières ou de genre. Elle devrait être laïque! On nous a reproché de ne pas pouvoir nous cerner, de passer d'un morceau à l'autre, à un style complètement différent. On ne peut pas nous classer parce que notre approche de la musique n'est pas de s'inscrire dans une tradition. On part d'un beat, et on le suit, et puis on fait très souvent marche arrière, dès qu'une mélodie part trop dans un genre précis. Ça doit être un peu frustrant pour les fans, c'est vrai. Mais c'est dangereux d'avoir un cadre et de s'y appuyer, c'est comme s'endormir au travail. »
Fin de règne
C'est que le quatuor semble appartenir à une nouvelle race du rock anglais. Là où les grands frères (Libertines) avaient pour maitre étalon les 70's, ses guitares simplissimes et ses textes qui causent principalement de filles et de drogues, les Mystery Jets, Friendly Fires et autres Metronomy ont décidé de compliquer la pop. « Il y a en effet des similitudes entre nous et ces groupes, confirme Sam. On est pas intéressés par le format 3 minutes à tout prix. On aime l'idée que sans raison apparente, la mélodie se barre et prenne un autre chemin. Peut-être, que ça vient de notre génération, qui essaye de détruire des choses déjà entendues, et d'en essayer d'autres. On était d'ailleurs embarrassés de découvrir que nos démarches se ressemblaient autant, sans nous être concertés, avec Metronomy. On admire la manière dont ils utilisent des synthés, non pas pour être trendy mais pour obtenir des sons particuliers qui ne peuvent pas être utilisés avec d'autres instruments. Leur musique semble dire à toute une génération précédente : n'essayer pas de coller à une étiquette, prenez le risque d'être vous même, de ne pas sonner comme les autres, déposez les uniformes, C'est une ode à la difference.”
Différents, étranges, déroutants, LOTP poursuivent l'œuvre de Klaxons et d'autres groupes étiquetés nu rave dans le mariage d'éléments dance et d'énergie punk pop mais vont plus encore plus loin lorsqu'ils enchevêtrent claviers, guitares, saxo et trompette, et tout un tas d'autres sons bizarroïdes empêchant toute tentative de classification. La formule magique « dance punk » ne suffit plus. Late Of The Pier ne s'appelle peut être pas « La fin de la jetée » pour rien. C'est la fin d'un règne dont leurs mélodies over-mutantes sonnent le glas. Celui des tribus, des clans et des combats de sang, des mods aux clubeurs fluo en passant par les goths. L’histoire musicale anglaise atteint ici peut-être l'une des ses phases les plus passionnantes. Il y a eu les corbeaux d'Editors reflétant le moral des ados au plus bas, puis la nu-rave en réaction hédoniste aux idées noires et finalement la digestion de tout ça. Thèse, antithèse, synthèse. « La vie est dure » ou « le suicide est dans mon sang » chante Late Of The Pier sur des mélodie de synthé qui ferait danser un mort. Il y a là la rage désespérée d'un certain rock anglais d'héritage new-wave et l'optimisme dansant de la relève, et puis des choses encore jamais entendues, comme danser sous les bombes, en scrutant de nouvelles planètes, en quelque sorte.
Alors pendant que certains croient encore que Late Of The Pier est une simple marotte pour branchés consuméristes, les quatre « idiots du village » écrivent sans doute la B.O de leur temps. Comme Joy Division, à son époque écrivit celle des 80's, soundtrack à la fois sombre et lumineuse, désespérée et galvanisante, une musique de mort et de vie.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

super papier!

Amaury Martin B. a dit…

Ils sont énorme en live !

Violaine Schütz a dit…

c'est clair Amau, ils sont géniaux!