mardi 21 juillet 2009

L.A confidentiel - Papier paru dans leTsugi n°19 (mai 2009)


L.A confidentiel
Texte de Violaine Schütz

A l'heure où le label Stones Throw est sur toutes les lèvres, et Jeremy Jay fait danser les jeunes filles en fleur, petite visite de la face musicale obscure de L.A. Aux côtés des surfeurs et des people, la cité des anges abrite aussi les nouveaux dieux du drone psychédélique et du rock diy.

Quand on pense à L.A, on pense filles dénudées, soleil et pop songs qui vont avec. Mais ce sont des songwriters blèmes et tout sauf show-off qui y font les vagues les plus renversantes du moment. Moins médiatisés que MGMT, ce sont pourtant eux les vrais nouveaux hippies, mixant une attitude low-profile à des expérimentations musicales s'abreuvant de tous les genres (on pense au tropicalisme anthropophage des années 70), et un son sous-produit, enregistré sur cassettes, ou répondeurs. La visite d'Ariel Pink au festival Villette Sonique en ce mois de mai est d'ailleurs attendue par certains fidèles comme le messie. Présentation de trois de ces illuminés, avec l'avis d'un fan/et spécialiste de cette nouvelle scène arty de L.A, Detect, membre du Klub des Loosers et DJ qui avec son projet psyché Tiebreak se rapproche de l'esprit borderline de ces cousins californiens.

Ariel Pink
A 31 ans, Ariel Pink demeure une sorte d'artiste maudit. Il a plus de tubes pop-punk bricolés et barrés que n'importe quel groupe californien mais son nom n'évoque rien d'autre qu'une marque de lessive à la plèbe. Voilà plus de 10 ans pourtant qu'il fabrique des chansons lo-fi mirobolantes sur son huit-pistes. Dans son taudis de L.A, il collectionne les charniers de démos (une centaine de cassettes underground qu'il vend à des concerts), et les refus de maisons de disques. Jusqu'à ce jour béni de 2003, où lors d'un concert d' Animal Collective, il donne une K7 de ses démos à ses héros. Le coup de foudre est immédiat si bien que le groupe décide de sortir la compile sous-mixée, sans rien en changer, sur son label Paw Tracks. Le résultat, The Doldrums contient en fait un album enregistré au Canada entre 1999 et 2000 sur cassette Yamaha MT8 et une compile de maquettes faites à L.A de 2001 et 2003. D'où cette impression d'écouteur une musique pure, spontanée, débarrassée de toute fioriture et marqueur temporel. En quelque sorte, la musique d'Ariel Pink replonge l'auditeur à l'état de nature. « C’est un peu le R.Stevie Moore actuel (le roi du rock underdroung fait maison depuis 1973, ndr), raconte Detect. Ariel Pink a du faire 30 albums en 10 ans en créant ses musiques en mixant des cassettes audio entre elles. C’est à la fois génial, inutile, complètement bancal et magique. » Cette production approximative, à la limite de l'audible, son chant déchirant, proche du cri primal, atteint en effet l'échine et provoque des émotions brutes encore rarement ressenties. Un antidote aux prods léchées et hygiénistes de la pop californienne mainstream.
www.myspace.com/arielpink

Geneva Jacuzzi
Petite amie d'Ariel Pink, Geneva Garvin (alias Geneva Jacuzzi) est aussi sa plus sérieuse rivale. A la fois compositrice et artiste visuelle, elle possède le don d'ensorceler immédiatement l'auditeur par sa voix de harpie démoniaque terriblement érotique (la dimension orgiaque de ses cris orgasmiques) et des beats électro-goth-funk-balératiques complètement anachroniques. Ajouter à cela une pointe de mysticisme (dans les paroles) et milles et unes bizarreries sonores et vous obtiendrez des symphonies harmoniquement complexes et ambiguës (à la fois dark et tropicales). Les chansons de Geneva n'en sont pas moins aussi lo-fi que celles de son copain, puisqu'elles sont également enregistrées sur un modeste 8-pistes. Mais pour comprendre le grand pouvoir de séduction de cette gorgonne sculpturale, il faut voir le clip hypnotique de « Love Caboose » où elle apparaît en vestale darkwave sur youtube ou ses photos myspace. Entre collages diy (elle fait aussi les pochettes d'Ariel Pink’s Haunted Graffiti) et imagerie goth (photos d'elle avec du sang sur la bouche ou maquillée comme une chauve souris), Geneva Jacuzzi provoque de nombreux remous dans l'océan souvent peu sensuel des nerds de la blogosphère!
www.myspace.com/zombieshark

Sun Araw
Le moustachu Cameron Stallones alias Sun Araw, c'est Detect qui en parle le mieux! "Il s'agit du guitariste du groupe de Los Angeles Magic Lantern (www.myspace.com/magiclanternmako), qui font un rock noise, progressif. Leur chanson "At the mountains of Madness” était particulièrement brillante. En solo Sun Araw crée une musique "ambiante" qui s’inspire aussi bien du drone metal, que de Popol Vuh (groupe allemand qui a signé les musiques des films Aguirre, la colère de Dieu et Nosferatu, ndr) que de trucs plus psychedeliques. Sa musique pourrait bien coller à un film de Werner Herzog ou de Barbet Schroeder d'ailleurs. Son LP Beach Head est mortel." Sorti en 2008, Beach Head est en effet un des plus beaux disques entendus cette année là. Son écoute plonge l'auditeur dans un état de transe éthérée durant quatre longues plages de drone maya et mystique teintée de baléarisme. Un peu comme si les Beach Boys rencontraient Can et White Noise sur une plage déserte bordée d'une forêt tropicale hantée qu'on ne voudrait jamais quitter.
www.notnotfun.com/sunaraw/main.html

Pocahaunted
Écouter Pocahaunted (sur K7 ou 45t, leur format de prédilection), c'est accepter de lâcher totalement prise sur le réel et se laisser aller à une séance d'hypnose dont on ne revient pas indemne. C'est pourtant deux jeunes filles à frange aux airs faussement sages de hippies glam qui provoquent cet engourdissement de la conscience, ce déroutement presque inquiétant, dans le monde beau et mélancolique du drone psychélique. Il faut alors, dès les premiers accords, se laisser prendre par « Water Born », longue plage envoutante de 21 minutes pendant laquelle les guitares shoegaze et les incantations célestes s'unissent à des expérimentations que ne renieraient pas les SonicYouth du début ou un Merzbow apaisé. C'est splendide, intense, étourdissant, au delà de l'imaginable. Detect est d'ailleurs formel à leur propos : « C'est mon groupe préféré issu de l’excellent label NotNotFun basé L.A. Leurs morceaux complètement hypnotiques de 20 minutes avec des voix noyées dans des reverbs et des guitares saturées forment une musique nocturne hyper intense. » Le dj français a pour habitude de les écouter la nuit, en lisant Antonin Artaud. On finira simplement par vous dire que leur musique peut hanter toute une vie.
www.myspace.com/pocahaunted

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