mercredi 22 juillet 2009

Préface de mon livre sur Daft Punk paru chez Scali en juin 2008

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Eté 1997. Marseille. Les vacances. Je ne sors pas de chez moi, je hais la plage. Et la chaleur. Et ma ville. Cheveux noirs corbeaux, fringues impossibles, dépression chronique. J’ai 17 ans, quoi. Souvent, trop souvent, je me demande : mais qu’est-ce que je fous là ? Heureusement, il y a la musique. Et mon walkman, que je ne quitte jamais. Je suis alors en pleine période indie-rock. Cat Power, les Tindersticks, Nick Cave, PJ Harvey, Joy Division, de joyeux compagnons d’infortune. A part New Order, Björk, Massive Attack, Tricky et Portishead que je vénère et qui trempent un peu dans l’électro, la techno ne m’évoque alors rien de bien folichon. Et il ne faut pas me parler des clubs ! Ces lieux de débauche où la seule attraction se résume à la décoration : des baobabs en plastoc et une pauv’ boule à facette minuscule.

En fait, avant 97, la dance musique, ça me rappelait surtout des souvenirs que je tentais désespérément d’oublier. Ces boums de collège dans lesquelles j’allais tranquillement m’asseoir dans un coin, entre le punk à chien et la petite grosse à lunettes, incognito. J’attendais alors que ça se passe ou que quelque chose se passe, avec la forte impression de faire potiche à côté des minettes - à Marseille on les appelle les cagoles- se déhanchant dans leurs jeans délavés moulants et les couples à peine formés causant d’amour pour la vie et la mort en échangeant leur salive. Toutes ces fêtes adolescentes ressemblaient trop à la parade de chez Disneyland pour être tolérables. Pour moi, les musiques électroniques restaient à jamais associées à l’ambiance grenadine, cheap-house et Bontempi de ces calvaires sociaux, quand ce n’était pas des images de ces tarés de mon lycée qui écoutaient les compils de dance de M6 et celles des soirées trance-hardcore Thunderdome qui me revenaient à l’esprit. Pour résumer, c’est un euphémisme de dire que je ne suis pas née fluo-kid.

Depuis les boums donc, aller dans une fête ou écouter de la dance correspondait pour moi à une forme de suicide moral. Une telle dictature de la béatitude et de bonheur de façade, me rendait physiquement malade : teint pale, yeux vitreux. Et puis il y a eu cette nuit là, sans sommeil, où j’ai vu des robots bizarroïdes et des danseuses disco danser sur une plateforme sur fond de lumières de juke-box et de sons stroboscopiques. On venait d’harceler ma mère, avec ma sœur, pour avoir MTV. Rien que pour ce que j’allais y découvrir, ça valait la peine d’avoir cherché des jours entiers des arguments en béton armé. Vous vous souvenez de la première fois où vous avez écouté le « Smells like teen spirit » de Nirvana ? Le « Crazy in love » de Beyoncé ? Le « Billie Jean » de Michael Jackson ? Si oui, vous savez de quoi je parle. Cette incapacité à rester immobile, à raisonner ou à rester un minimum connecté au monde réel pour se retrouver totalement transporté par le beat. « Around The World » passait sur MTV. Et l’état comateux de demi-sommeil aidant, le pouvoir du corps sur l’esprit qui m’avait tant passionné chez les philosophes de tout bord que je lisais assidûment, se trouvait ici incarné en son et image. Une inflammation des sens, un endormissement immédiat de la conscience, une excitation irrémédiable des nerfs, trois minutes d’extase pure.

Je découvrais enfin sous les effets de ce tube et sans substance psychotrope, les joies du clubbing, du vrai, chez moi, devant ma télé. Mes pieds se mirent à trouver une vie propre, et tous mes beaux principes anti-house à vaciller considérablement lorsque je me mis à répéter bêtement « around the world, around the wooorld, na na na na na na ». Je ne savais pas encore tout ce qui s’ensuivrait. Mais (en vrac), après « Around The World », il y eut : la découverte de l’avantage de pouvoir parler aux garçons tout près de leurs visages à cause des musiques trop fortes, l’oubli de soi total, des séances d’hypnoses collectives et des émotions ultra sensorielles persos, des litres de BPM, une carrière de « dance-rock » critique débutée dans le fanzinat, mon amitié avec la Trax Team (devenu le Tsugi Crew), des « raves » éveillés, des nuits entières à effectuer d’improbables « moonwalks » sous les boules facettes de divers clubs de France et de Navarre, bref la Nuit en technicolor, le Monde qui s’ouvrait à moi…parfois aussi trippant que celui aperçu une nuit de 97 à travers les petits bleeps et les petites lumières du clip d’ « Around The World ».

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