vendredi 25 juillet 2008
Elysian Fields - article publié dans Redux en septembre 2005
Elysian Fields
Le quatrième album des américains Elysian Fields est sans doute leur plus beau disque à ce jour. D’un expressionnisme noir, il semble en même temps traversé par une douceur lumineuse, apaisée, reflétant une belle alchimie entre ses deux créateurs, Oren Bloedow et Jennifer Charles, en apparence sur la même longueur d’onde sensuelle. Pourtant, ils viennent de rompre (après dix de relation fusionnelle). Et en interview, la tension est palpable. Dans un hôtel moyenâgeux de Bastille, le couple donnait toutes ses interviews séparément, sauf la notre, qui était la dernière entrevue de la journée. Sans jamais faire preuve de légèreté ni d’humour, le couple répondra à nous questions avec une rigueur pesante, qui se révèlera, sur le long cours, passionnante et attachante. Comme leur musique…Difficile d’accès au premier abord, et au final…indispensable.
Sur la couverture du nouvel album d’Elysian Fields, un vieil homme seul, accoudé à une table, un verre d’alcool à ses côtés comme seule compagnie, fume le cigare. Il semble avoir connu de jours meilleurs et sa fin semble proche. Cette image, qui pourrait être anodine, donne, à elle seule, une idée de l’univers d’Oren et Jennifer. Bum Raps & love taps est un disque mélancolique, qui parle de la vie en général, de désir, d’amour, de passion et de rêves, mais surtout de mort et de solitude. Oren, sombre et impénétrable, avec son chapeau vissé sur la tête et son regard perçant, consent à se nous donner quelques explications à propos de cette mystérieuse et noire, pochette : « En fait, ce vieil homme pourrait être la grand-mère de Jennifer, Deedee. Quand celle-ci de Jennifer est morte, on a écrit la chanson-titre de l’album, Bums, raps and love tapes pour elle. Mais personne autour de nous ne savait ce que ces mots signifiaient. Bums raps c’est « la mauvaise réputation ». Et love taps veut dire « une baffe ». Ce titre fait référence à la vie assez agitée de la grand-mère de Jennifer, qui a eu quatre maris et beaucoup d’histoires en tout genre. Elle voulait écrire sa biographie et lui donner ce titre, mais l’état de son cerveau était si mauvais, qu’elle n’en fut pas capable. Deedee avait 80 ans quand elle est morte, isolée, seule, nous avons écrit cette chanson pour rétablir une partie de sa mémoire. Elle avait la maladie d’Alzheimer, et ne se souvenait que d’un seul vieux standard des années 20, dont nous avons inclus quelques éléments mélodiques dans notre album. C’était notre manière de dire : « Nous comprenons ce que c’est d’être vieux, Ce que sait que d’être isolé, aliéné, inutile, décalé, oublié… », de montrer l’empathie que nous ressentions pour elle. Le vieil homme sur la pochette pourrait être la grand-mère de Jennifer mais aussi chacun de nous. Car nous nous sentons tous vieux à un moment ou à un autre de notre vie. »
Depuis leurs débuts, il y a dix ans, les Elysian Fields, portés aux nues par les regrettés Joey Ramone et Jeff Buckley, n’ont cessé de creuser, par leur musique et leurs paroles complexes, les sentiments les plus difficiles et les plus sombres de la nature humaine. D’où la difficulté d’accès pour certains auditeurs frileux, à entrer dans leur univers peu accueillant, et leur étiquette de groupe neurasthénique pour indie rockeux sous prozac. « Mais Elysian Fields a quand même fait des chansons pour faire la fête, affirme Oren. On aime s’amuser même si nos goûts nous portent plutôt vers des choses tristes. » Jennifer acquiesce et ajoute : « Par exemple, j’adore danser ». Mais le groupe ne nie pas la difficulté d’accès de leur musique : « Une chanson comme « Duel with Cudgels », est très exigeante avec l'auditeur, c’est une sorte de chinoiserie, complexe, qui représente notre duel avec l'industrie musicale (on a été un temps sur une major), et notre volonté de nous tenir loin des considérations mercantiles. »
Sans concession commerciale, ni compromission, Elysian Fields explore donc ses propres obsessions et expérimentations, ne prenant pas en compte les conventions du milieu rock auquel ils appartiennent.
A ce titre, Jennifer Charles compare l’album à « une fleur ou une femme. Les premières chansons, c'est l'aspect extérieur, difficile, froid peut-être, complexe, et puis quand on commence à réécouter l’album et ce, jusqu’au bout, on finit par s’y attacher, à mieux la connaissant connaître. De même, il faut entrer dans notre musique pour la comprendre. »
Ni vraiment folk, ni blues, ni jazz, ni pop, ni classique, la musique d’Elysian Fields ne se laisse pas facilement apprivoiser. Il faut suivre le fil rouge des feulements sensuels de Jennifer pour pénétrer dans cette forêt vierge faite de sons disparates, de guitares distordues, de claviers psychédéliques... Mais l’effort de compréhension vaut amplement la chandelle.
Violaine Schütz
www.elysianmusic.com
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