vendredi 25 juillet 2008

Interview de Gülcher - mai 2006

Gülcher

Certes, les quatre membres de Gülcher ne payent pas de mine. Pas de coupe de cheveux étudiée à la Strokes, pas de jean slim qui moule les burnes, pas de boots pointues trainées dans la coke, juste quatre gars (trente de moyenne d’âge), un Anglais et trois Parisiens, avec qui vous auriez pu prendre, sans vous en rendre compte, un demi dans un pub. Sauf, qu’une fois sur scène, l’évidence s’impose : souplesse mélodique, raffinement des chœurs, énergie punk, chant en anglais tête à claques et maniéré façon Morrissey, le quatuor semble avoir fait ses classes chez les grands : Roxy Music, Orange Juice, Gang Of Four, Wire. Mieux : leurs hymnes de pop complexe, lettrée et dansante les placent en meilleurs concurrents français des excellents étalons p-funk de Warp, Maxïmo Park. Paris tiendrait-il enfin son premier groupe d’art rock ?

R : Quel a été pour chacun de vous le parcours qui vous a amené du statut d’auditeur à celui de musicien ?

Alex (batteur) : Les Pixies ont été le déclic. Doolittle plus exactement.
Laurence (chanteur) : On peut arrêter l’enregistrement de l’interview ? (rires)
Alex (bassiste) : J’ai grandi en écoutant beaucoup de rock indé américain comme Sonic Youth et Pavement. J’ai appris à jouer de la guitare en autodidacte. Je ne suis pas un vrai bassiste, c’est pour ça que j’ai un jeu de basse étrange.
Sandri (guitariste) : pour moi, ça a été, comme pour beaucoup les Beatles, et plus particulièrement la chanson « I’m only sleeping » qui m’ont fait découvrir la musique. Ensuite il y a eu les chansons des Sex Pistols et des groupes plus pointus comme Pere Ubu. Aujourd’hui, j’aime le rock bizarre. En ce qui concerne ma formation, j’ai fait une école de musique à l’âge de 12 ans. Au départ, je voulais jouer de la contrebasse, et finalement il n’y en avait pas dans cette école, alors je me suis rabattu sur la guitare classique. J’ai joué dans plusieurs groupes, dont le duo Deluxe & Faem. On a sorti un album en hommage à Delon-Melville en 2004 sur le label Euro-visions (qui réunissait les très branchés April March, Ariel Wizman et St Etienne, ndr). On a aussi bossé avec Rubin Steiner.
Ronan (batteur) : Moi, j’ai commencé le piano à 7 ans, mais ça n’a pas donné grand-chose. La musique est venue avec Joy Division. Je me suis dit : Si eux peuvent jouer de la guitare, je peux y arriver ici, moi aussi ! La batterie est venue plus tard, un peu par hasard.
Laurence : en Angleterre, je faisais partie des seuls gamins qui écoutaient de l’indie pop à mon école. On filait en douce pour aller voir des concerts de Felt (le dernier à Londres) et de Spacemen 3. C’était juste avant que les jeunes s’intéressent à l’indie pop avec les Stones Roses à la fin des années 80, et au début des 90’s. Mais c’est surtout grâce à la presse musicale anglaise - aussi bien Smash Hits et Number One que le Melody maker et le NME - et au Lipstick Traces de Greil Marcus et à Lester Bangs que j’ai fait mon apprentissage. J’étais obsédé par l’idée de la chanson pop et je lisais tout ce que je pouvais sur le sujet.

R : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
L : J’avais écrit des paroles pour un morceau de Deluxe & Faem avec Sandri, qui se situait entre Patrick Juvet et les Sparks. La chanson, « L’unabomber de l’amour » a été refusée, mais on a continué à faire des morceaux, avec plus de Sparks et moins de Patrick Juvet. Et Sandri connaissait déjà les deux autres.
S : On s’est formé en 2003, mais avec un autre batteur. On a changé la batterie quand Ronan, un ami, est revenu d’Angleterre.
R : Je connaissais Sandri depuis 1995, il était même témoin à mon mariage.

R : D’où vient votre drôle de nom ? C’est un mot qui n’existe pas…
L : Quand on a commencé, il y avait tous les groupes de l’après-Strokes, avec des noms en « The ». On voulait éviter de rejoindre le clan. « Gülcher » est en fait un jeu sur le mot « culture », mal prononcé. Après avoir lu Lester Bangs, je me suis intéressé à ses amis rock-critics, et parmi eux, il y avait Richard Meltzer (un des premiers grands journalistes de rock, ndr), qui a écrit l’ouvrage culte The Aesthetics of rock et un autre Gülcher.
Le seul rapport entre notre musique et ce bouquin, c’est que le livre raconte des petites histoires, en prenant pour point de départ des choses assez banales, comme les coupes de cheveux des chanteurs de country ou les packaging des chewing-gum pour les transformer en art. On essaie de faire pareil.
S : Ca peut sembler prétentieux de s’appeler « culture », mais pour se rattraper, on va faire une très belle chanson sur un paquet de chewing-gum.

R : Comment travaillez-vous ensemble ?
S : J’amène une partie de guitare et on construit le morceau à partir de là. Après chacun dit qu’il faut déplacer telle ou telle partie pour la placer après une autre. Parfois certains morceaux prennent très longtemps à écrire. « Providence » par exemple a pris été très longue à mettre en place, parce qu’on la beaucoup remaniée. Nos chansons évoluent sans cesse.
L : Ce qui est horrible c’est de s’ennuyer, notamment sur scène, donc on essaye d’enrichir le plus possible nos morceaux. On se lasse plus vite du binaire et du primaire. Mais pour notre manière de bosser, le processus est très égalitaire : chacun à sn mot à dire.
A : On ne touche pas trop aux paroles quand même ! (rires)
L : Si, si, il y a eu des fois où Sandri a dit non à certaines paroles comme « c’est la loose à Strasbourg ». Il a crié : « non, pas de paroles en français ».
S : C’est vrai ! Et je ne voulais pas non plus de ta chanson sur la scarification…

R : Quels sont vos partis pris musicaux : faire de la pop complexe, du rock réfléchi mais dansant ?
S : Faire ressortir des sentiments qui sont un peu enfouis dans la pop, qui ne semblent pas évidents au départ mais peuvent se révéler populaires au final. Le morceau « The Writers » par exemple dure six minutes, dont certaines sont vraiment tarabiscotées, mais elle est finalement accessible. Enfin, j’espère qu’elle l’est !

R : Avez-vous des influences communes ?
L : Roxy Music, qui sont dans le schéma de chansons qu’on aimerait faire, et tous les groupes dans leur lignée comme les Smiths et les Stranglers.

R : Laurence, peux-tu me parler de tes textes ?
L : Ils ne sont pas forcément autobiographiques. Il y a des jeux avec la narration, des dialogues. L’idée c’est que l’auditeur ne comprenne pas tout à la première écoute, mais seulement des bribes. On essaie de faire des chansons à clé pour que les gens (et nous) ne s’en lassent pas trop vite. J’aimerais m’éloigner de plus en plus des paroles sur moi en train de pleurer quelqu’un, mais c’est difficile d’écrire des petites histoires ne me concernant pas, tout en leur donnant une richesse émotionnelle. Bref, j’y travaille.

R : Qu’est ce qui vous agace dans les critiques parues dans la presse ?
L : Les comparaisons avec Bloc Party ou les Rakes. On n’a jamais entendu un seul morceau de Bloc Party, alors c’est drôle.
S : On nous compare aussi souvent à Gang of four. Je viens de comprendre il y a quelques jours pourquoi : Il parait qu’ils étaient calmes sur disque, et qu’ils se déchainaient sur scène.
A : Quel est le rapport avec nous ?
S : Ben, l’énergie rock’n’roll destroy sur scène.
A : Non, c’est surtout la basse en fait, qui justifie la comparaison à Gang of Four ! (rires)

R : Sur la pochette de « You girls », on a affaire à un design abstrait à l’esthétique constructiviste et sur celle de « Providence », à une femme allongée sur un lit dans une chambre d’hôtel, vous ne vous montrez jamais ?
L : A la base on avait une autre pochette qu’on avait commandée, et qui ressemblait à un vagin, c’était nul. Alors on a été dépanné par un pote.
S : Le type qui avait réalisé la première pochette a récemment avoué que c’était un cerveau qu’il avait voulu représenter. Rien avoir avec un vagin donc !

R : Ces pochettes témoignent-elles d’une volonté de se mettre en retrait pour signaler que seule la musique compte ?
R : Disons qu’à nous quatre, nous n’avons vraiment d’image. (rires)
L : Blague à part, oui, c’est exactement ça !

R : En même temps, vous essayez de renvoyer une image assez classe (costards, les chemises…), pourquoi ?
S : Parce qu’être sur scène, c’est comme au théâtre. On joue des personnages, le costume donne un côté dandy.
L : Le costume Guerrisol c’est aussi quelque chose d’égalitaire. Enfin, c’est toujours moins cher que de s’habiller chez Hedi Slimane.

R : Vous avez joué dans les mêmes salles (Triptyque, Bar Three à Paris) que les Second Sex, Naast, Brats dont on parle beaucoup en ce moment. Que pensez-vous de la scène rock parisienne des petits jeunes de 15 ans ?
S : Je pense qu’un gamin n’a rien à dire. Un groupe de vieux comme les Stranglers avaient des choses à raconter, du vécu. Ce jeunisme est agaçant. Il ne faut pas trop gâter les groupes, ne pas tout leur donner tout de suite. Il faut une certaine dose de souffrance ou du moins d’attente, pour faire de bons morceaux.
L : Mais ce n’est pas parce qu’ils sont jeunes qu’ils n’ont rien à dire, c’est parce qu’ils sont français ! (rires) Le problème, c’est surtout, que tous ces groupes sont dans la même imagerie, dans les mêmes références rock’n’roll. Ils sont dans un système qui consiste à se jauger et à se faire accepter selon les noms que les autres citent. Ils aiment le punk, mais ils n’utilisent pas ce mouvement comme clé d’accès pour exister de manière plus intelligente. Les gamins disent qu’ils lisent Lester Bangs sur leurs blogs et écoutent ceci et cela parce qu’il faut l’écouter, ils s’habillent en fonction de ce que tel ou tel groupe portait en 1976, mais ils oublient de parler des chansons. Je n’ai jamais entendu un groupe venu me dire : on a telle chanson, elle déchire ! Alors que nous, notre démarche est de penser aux chansons avant tout. Ca revient à ce que tu disais sur les pochettes. On ne veut pas dire : le rock est ceci, ou cela. On essaie juste de faire de l’art. Je vais avoir l’air snob là, mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit. On ne dit pas : « aimez-nous, parce qu’on aime ça » !
A : On essaie surtout de ne rentrer dans aucune case. Or, de nos jours, c'est assez flagrant que beaucoup de groupes jouent la revendication à des tribus: mods, punk, rock'n'roll, post-punk, new-wave, indie... Nous, on s'en branle de tout ça, du moment que ça sonne. La chanson, rien que la chanson et ceux qui ont peur dès qu'on sort des limites d'un genre musical, ne vont pas être déçus !

R : Et le courant art-rock qui vient d’Angleterre avec ces groupes qui sortent des beaux-arts comme Maxïmo Park, ce n’est pas une « étiquette » qui vous conviendrait ?
L : Hélas en France, il n’y a jamais eu ce mouvement art-school.
R : En même temps, on n’a jamais fait d’école d’art. On est prof de lettres, journaliste, pharmacien, à côté de la musique. Personne n’a fait d’études d’art.
L : La situation en France pour la musique est assez difficile. Un groupe comme les Smiths n’aurait jamais existé en tant que groupe de pop en France s’il n’y avait pas eu les Inrockuptibles. Si les Smiths avaient été français, ils auraient été (mal) conseillés et se seraient mis à faire du ska festif ou du reggae.

R : Vous avez été remixés par Krikor (DJ parisien connu pour ses remixes de Gainsbourg sur la compilation électro I Love Serge, ndr), êtes-vous intéressés par les musiques électroniques ou d’autres remixes ?
S : Oui, et puis Krikor habite dans ma rue. Non, en fait, dans Gülcher, il y a une influence cachée du krautrock, de Kraftwerk, de Can. On est donc assez ouvert pour être remixé et trituré dans tous les sens.

R : Quel a été votre meilleur souvenir de concert ?
A : Récemment à l’Ultrason de Cherbourg, le public pogotait et dansait vraiment. Il y avait un dialogue entre ces jeunes et nous. C’était génial !
L : Après notre concert au 9 Billards, ou on n’on n’avait pas la basse, donc notre set était assez punk, et l’écrivain Chloé Delaume (cf Redux numéro…) est venue nous voir après pour nous dire que ça lui avait fait penser à un concert des Happy Mondays au Bataclan début 90. J’étais fou de joie ! (Chloé Delaume mentionne d’ailleurs ce concert de Gülcher dans son roman, Certainement pas, Editions Verticales, 2004, ndr)
S : Pour moi, c’était un concert assez désastreux au Glazart devant 300 personnes dépitées, où on avait beaucoup trop bu. Et un homme d’une cinquantaine d’années est venu nous voir après le set en nous disant : « n’arrêtez pas la musique car vous êtes vraiment géniaux en live ! »
L : On avait des bouteilles sur scène qu’on refilait au public. Musicalement, c’était un vrai désastre ! Après ce concert on a d’ailleurs décidé d’arrêter de boire. Avant et pendant les concerts (on continue à boire après). Depuis, on s’est nettement amélioré !

Ep dans les bacs : “You girls” (Future Now/Coming Soon)
Album à venir : After Nature (Future Now/Coming Soon)

www.gulcher75.com

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